mercredi 22 octobre 2014

Toutes les trente heures





295 féminicides en 2013 : toutes les trente heures, une femme est assassinée.
Par Daniela Dicipio


Traduction en français : Fanny Berlingen



Les statistiques ont été publiées le 6 mars à la suite d’une enquête réalisée par l’Observatoire des Féminicides en Argentine Adriana Marisel Zambrano*, pris en charge par l’Association Civile La Casa del Encuentro (litt. La Maison de la Rencontre) et présenté au Centre d’Information des Nations Unies pour l’Argentine et l’Uruguay (CINU). L’enquête a été basée sur les publications de 120 journaux nationaux et provinciaux. Des statistiques qui font bouillir de fureur car reflétant une réalité, bien qu’il soit évident que les chiffres augmenteraient s’il existait des données officielles.

Ce n’est pas la même chose de dire qu’une femme meurt, et qu’une femme est assassinée. Les termes sont souvent mal utilisés. Le mot « féminicide » est un concept politique : c’est la dénonciation de la banalisation que la société fait de la violence sexiste, c’est l’une des formes les plus extrêmes de violence contre les femmes, c’est un assassinat commis par un homme sur une femme qu’il considère comme sa propriété. « Il est indispensable de voir la violence sexiste comme une question politique, sociale, culturelle, et relative aux droits humains ; c’est comme cela que la situation grave vécue par les femmes, les petites filles et les petits garçons en Argentine pourra être vue comme une réalité collective vis à vis de laquelle il faut réagir immédiatement », dénoncent Fabiana Tuñez et Ada
Rico, responsables de l’organisation.

Ada Rico insiste : ces cas « ne sont pas que des chiffres, derrière chaque donnée il y a une femme qui n’est pas morte accidentellement mais qui a été assassinée par quelqu’un qui la considérait comme sa propriété. Derrière ces statistiques froides, il y a des femmes qui ne sont plus, des enfants qui ont perdu leur mère. Ce taux est malheureusement le plus haut en cinq ans, c’est pourquoi nous vous en prions : s’il vous plait, continuons à travailler ensemble, hommes et femmes, afin de changer cette réalité. »
La Casa del Encuentro a proposé un projet de modification du code civil pour supprimer l’autorité paternelle aux féminicides, afin que les enfants puissent avoir le droit de choisir avec qui ils souhaitent vivre.
Il est nécessaire que les médias commencent à relayer les informations en leur donnant l’importance qu’il se doit, et non comme de simples faits divers.


Toutes les trente heures, une femme est assassinée : c’est le taux le plus élevé de ces six dernières années.

  • 295 féminicides en 2013
  • 186 femmes assassinées par leur compagnon ou leur ex-compagnon
  • 112 femmes avaient entre 19 et 30 ans
  • 158 sont mortes chez elles
  • 11 étaient enceintes
  • 32 ont dénoncé leur assassin
  • 14 des meurtriers étaient soumis à une ordonnance restrictive
  • 83 femmes mortes par arme à feu, 64 poignardées, 37 sous les coups et 17 incinérées
  • 405 enfants orphelins après l’assassinat de leur mère
  • 30 féminicides liés entre eux

* Du nom d’une femme argentine assassinée en 2008 par son ex-compagnon, qui n’écopera que de 5 ans de prison pour homicide involontaire. (NDT)

Image : couverture du livre « Pour elles… 5 ans de recherche sur les féminicides » par l’Observatoire des Féminicides en Argentine Adriana Marisel Zambrano.


Entretien avec Ed Holton, jeune anglais féministe engagé pour HeForShe

Le 20 septembre 2014, Emma Watson est montée à la tribune des Nations Unies à New York pour prononcer un discours qui restera dans les annales. La puissance, la véracité et la clarté de son message ont permis de lancer la campagne HeForShe. Le principe devrait être simple, mais la nécessité d’une telle campagne est la preuve que non : l’objectif est de mobiliser la moitié de la population planétaire dans la défense de l’autre, de rassembler le maximum de garçons et d’hommes dans la dénonciation de l’inégalité des sexes.


Vous voulez savoir comment vous impliquer dans la campagne ? Voici le kit d'action de HeForShe, le mouvement de solidarité d’ONU Femmes pour l’égalité des sexes !

Les réactions au lancement de la campagne du discours de la jeune actrice britannique, désormais Ambassadrice de Bonne Volonté d’ONU Femmes, furent explosifs. Explosifs dans leur positivité, leur interactivité, leur soutien. Le hashtag #HeForShe explosa les compteurs de Twitter. Cependant, la mauvaise volonté et l’ignorance furent aussi présents dans les réactions, que ce soit via le re-retour des « Women Against Feminism » ou encore la pitoyable tentative d’un hacker de « leaker » des photos personnelles de l’actrice (#Fail). Face à l’incompréhension de certains, le manque d’empathie d’autres, c’est ensuite un jeune britannique de quinze ans qui est monté à la tribune, cette fois par une lettre adressée au Sunday Telegraph ; la maturité de ses propos est touchante, et donne espoir :



« Monsieur – J’ai regardé le discours d’Emma Watson à l’ONU et j’étais en accord avec tout ce qu’elle y a dit, c’est pourquoi je fus déçu par combien certains des autres garçons de ma classe (j’ai 15 ans et je suis élève à une école privée pour garçons) en étaient ignorants.


Nous avons la chance de vivre dans un pays occidental ou les femmes peuvent parler contre les stéréotypes. Le féminisme n’est pas la haine de l’homme ou la suprématie de la femme. C’est, par définition, le contraire. En vérité, c’est plutôt simple : si tu crois en l’égalité sociale, politique et économique des sexes, tu es féministe.

En utilisant des expressions telles que « viril » ou « chochotte », nous adhérons par inadvertance aux stéréotypes de genre. Nous jouons avec des jouets basés sur notre sexe, nous jouons différents sports en fonction de notre sexe, nous étudions souvent dans des écoles unisexes. Et pourtant il faut un certain effort pour que l’on reconnaisse l’existence de l’inégalité des sexes et de l’injustice que cela induit pour chacun des sexes.
Si nous voulons l’égalité, il faudra plus faire plus d’efforts que de payer les femmes autant que les hommes, ou leur assurer des opportunités égales. Nous devons tous prendre part dans la transformation de notre langage. Nous devons cesser de se mettre la pression à nous-mêmes pour se conformer aux stéréotypes qui plus que souvent nous refoulent et nous laissent sans capacité de s’exprimer. Nous ne devons laisser notre sexe nous définir."

Ed Holton





Sa lettre, à l’origine intitulée « If we really want equality » (« Si nous voulons vraiment l’Egalité »), est en réalité plus longue, et dénonce l’utilisation des adjectifs « féminin » et « masculin », car engendrant une coupure trop importante entre les sexes. Très tôt il y identifie le féminisme comme étant aussi le fait que la sexualité d’une femme lui appartienne à elle seule, autant que celle d’un homme lui appartienne à lui-même. En réponse à sa problématique, que faire si nous souhaitons véritablement l’égalité, il demande d’ignorer le sexe de l’individu, d’ignorer ses préférences sexuelles, de ne donner aucune importance au fait qu’un individu ne soit pas conforme aux stéréotypes, et surtout de ne pas chercher à s’y conformer soi-même.


Le message est aussi puissant, finalement, que celui d’Emma Watson, sa sincérité palpable et son bon-sens fait consensus : le Telegraph est le premier journal britannique de droite. C’est avec plaisir et modestie qu’il a accepté de répondre aux questions de l’Asso George Sand, voici la retranscription de l’interview :


Asso George Sand : Premièrement, merci, je n’aurai jamais eu le courage que vous avez, d’être aussi clair, concis et droit au but sur un sujet aussi important à l’âge de 15 ans. Pour commencer, pourriez-vous me dire comment vous vous êtes identifié en tant que féministe? Etait-ce une réalisation naturelle, une pensée, philosophie qui a grandi avec vous, ou y-a-t’il quelque-chose qui vous a lancé dans la réflexion féministe?


Ed Holton: Merci beaucoup ! Je n’ai même pas pensé que quelqu’un lirait ma lettre, alors la réaction a été vraiment époustouflante. Si j’y réfléchis, j’ai grandi dans une famille égalitaire, alors l’idée que les femmes ne devraient pas avoir les mêmes droits que les hommes, ou étaient vues de façon différente aux hommes, m’était étrange, mais je ne m’étais jamais vraiment posé la question jusqu’à ce que je visionne un extrait du discours de Chimamanda Ngozi Adichie “We Should All Be Feminists”. La chanson de Beyoncé“***Flawless”, puis le discours d’Emma Watson m’ont persuadé qu’il était juste que les hommes et les femmes se battent pour le féminisme.


AGS: Diriez-vous que les modèles et célébrités de notre génération sont aujourd’hui de plus en plus instrumentaux dans l’égalité entre l’homme et la femme ? Y a-t-il des cas contraires, des célébrités machistes ou antiféministes qui vous ont déjà énervés ?

EH : Oui bien sûr, internet et les réseaux sociaux permettent aujourd’hui plus que jamais d’influencer les gens. Si je vois une personne tenir des propos antiféministes, je n’essaierai pas à tout prix de me lancer dans un débat houleux, dire à quelqu’un qu’il a tout faux ne résout rien. Mais je pense qu’il est dommage que tellement de personnes influentes considèrent toujours le féminisme comme une forme de haine de l’homme.


AGS : Vous dites dans votre lettre que vous étudiez dans une école privée pour garçons et que vous avez été déçu par les réactions de certains de vos camarades – de quelle façon ? Avez-vous pu y voir une assimilation du féminisme à la haine de l’homme ?

EH: Je ne visais personne en particulier. Je disais plutôt qu’il existe une certaine ignorance envers l’égalité des genres lorsque l’on étudie dans une école unisexe.


AGS: Vous avez beaucoup parlé d’égalité des genres, de Gender Equality, dans votre lettre. En France, cette expression est devenue très polémique récemment. Dans votre lettre, pourtant, nous pouvons voir que vous croyez l’égalité des genres nécessaire, même indispensable, cruciale, dans notre société. Diriez-vous que certaines mesures éducatives devraient être mises en place pour y promouvoir l’égalité des genres ?

EH: Premièrement, il me semble important de noter que certaines matières ne sont pas proposées habituellement aux deux sexes. Même si cela ne serait pas populaire au début, je pense qu’il est important de laisser chacun choisir sa voie. Cependant, je demeure largement sous-qualifié pour proposer des politiques éducatives quant à la promotion de l’égalité des genres.


AGS: Vous remarquez que certaines matières ne sont pas proposées aux filles comme aux garçons – pourriez-vous me donner quelques exemples?

EH: Le sport, par exemple: le netball pour les garçons, le rugby pour les filles. Dans beaucoup d’écoles, les cours de technologies alimentaires ne sont pas offertes aux garçons, pourtant filles et garçons doivent apprendre à s’occuper d’eux-mêmes, car ce n’est ni le féminisme ni le sexisme qui t’aideront quand tu auras faim.


AGS: Donc vous dites que l’indépendance, le droit de choisir son propre chemin à suivre, est essentiel. Cela me semble une description adéquate du féminisme et de l’égalité des genres!

EH : Oui, exactement.


PSA